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Avec la digitalisation qui s’opère dans plusieurs secteurs économiques de nos jours, la monnaie n’y échappe pas aussi. En effet depuis quelques années on entend parler de blockchain, de cryptomonnaie, de Bitcoin pour ainsi parler des monnaies numériques. Qu’en est-il vraiment ? Si elles ont beaucoup évolué dans le reste du monde, quelle est le constat ici au Burkina Faso ?
Pour tenter de répondre à ces interrogations, quoi de plus normal qu’un expert en la matière pour nous éclairer sur la situation. Il s’agit notamment de M. Salif Kindo, spécialiste de la technologie blockchain et de la monnaie numérique au Burkina Faso.
C’est un monsieur détendu que l’équipe du Digital Magazine a rencontré dans ses bureaux, sise à la Zone 1 dans la matinée du vendredi 17 juin 2022. Celui pour qui la technologie blockchain est une vraie passion a bien voulu se prêter à nos questions-réponses.
Présentez-vous à nos lecteurs
Je suis Salif Kindo, Ingénieur informaticien, plus particulièrement développeur de formation.
Quelle est votre activité professionnelle actuelle ?
Je suis promoteur d’une entreprise informatique du nom de Digital Soft Computer (DISCOM). Il faut noter que DISCOM fait du génie logiciel à savoir le développement de logiciels, d’applications mobiles, web, de sites web dynamiques, etc. La société fait également de la monnaie numérique et nous avons notamment crée le Texacoin et le Sankcoin. Il faut ajouter que DISCOM possède également un média en ligne à savoir Burkina Online. Et à mes temps perdus, je suis producteur de musique.
Dites-nous, qu’est-ce qu’une cryptomonnaie et depuis combien de temps elles existent ?
La cryptomonnaie, c’est techniquement un bout de programme informatique, c’est du code informatique déployé sur une plateforme qu’on appelle Blockchain. Dans la pratique, la cryptomonnaie est une monnaie numérique décentralisée, une monnaie virtuelle qui n’a pas d’existence tangible. Elle est également une monnaie créée par des privés qui ne sont ni des banques commerciales, ni des banques centrales, ni des États. Voici un peu la particularité de cette monnaie. Elle utilise la technologie Blockchain pour fonctionner. Il existe environ 15.000 cryptomonnaies de nos jours dans le monde avec une capitalisation boursière qui oscille entre 2.000 et 3.000 milliards de dollars. Laissez-moi vous citer quelques-unes : le Bitcoin qui est la mère de toutes les cryptomonnaies, il y’a l’Ethereum, Litecoin, XRP, Polcadot, Solana, Cardano et aussi le TexaCoin qui est une des cryptomonnaies que nous avons créées.
Quelle est la genèse de la cryptomonnaie ?
Tout a commencé aux Etats-Unis dans les années 90 où certains intellectuels appelés Cypher Punk se réunissaient périodiquement pour échanger sur des sujets divers notamment, les mathématiques, la cryptographie, la liberté, la philosophie, etc. De fil en aiguille de leur discussion, ils sont arrivés à la conclusion qu’il faut créer une monnaie numérique basée sur la cryptographie pour assurer la sécurité des transactions financières entre les populations. C’est ainsi qu’il y a eu plusieurs tentatives de création de monnaie numérique qui se sont soldées par des échecs. Et c’est en 2009, qu’un certain Satoshi Nakamoto a réussi enfin à créer une monnaie numérique opérationnelle dénommée le Bitcoin et avec la technologie qui va avec du nom de Blockchain.
Quelle est la définition de la Blockchain ?
C’est la technologie qui permet de créer et de faire fonctionner l’ensemble des cryptomonnaies. C’est une technologie numérique qui permet de stocker et de transférer une information de manière décentralisée, sécurisée, transparente et sans intermédiaire. C’est une technologie composée d’un réseau d’ordinateurs connectés entre eux avec une base de données qui a la particularité d’être immuable et infalsifiable. Dans les faits, pour schématiser, c’est un registre comptable qui répertorie l’ensemble des activités, des transactions d’une activité donnée. Et cette activité peut être financière ou pas. Les pages de ce registre sont appelées Block d’où le nom de Blockchain. Et la cryptomonnaie n’est qu’une application possible de la blockchain. En effet, c’est une technologie qui peut être utilisée pour résoudre beaucoup de question de développement, notamment elle permet de créer un cadastre numérique, l’identité numérique sécurisée d’une population donnée. Elle permet également d’organiser des votes sécurisés à moindre coût. La blockchain permet aussi être utiliser pour créer des NFT (Non Fongible Token) qui sont des objets d’art numérique. Il faut dire que les possibilités de cette nouvelle technologie sont très vastes.
Quand et comment avez-vous découvert les cryptomonnaies M. Kindo ?
En tant qu’informaticien, il y’a plusieurs années de cela que j’en entendais parler sur le web et c’est concrètement en 2021 que j’ai été mordu par le virus de la monnaie numérique. Je me suis par la suite autoformé dans le domaine pour devenir aujourd’hui ce que je suis à savoir Développeur Blockchain.
Les cryptomonnaies concurrencent-elles les monnaies souveraines ? Menacent-elles l’indépendance financières des États ?
Oui, il y’a certainement un problème de souveraineté qui risque de se poser à la longue. D’habitude ce sont les États qui créent les monnaies, cependant, la technologie devance le plus souvent certaines réalités, force est de reconnaitre que les cryptomonnaies sont là pour s’implanter définitivement et il faut faire avec. Les États gagneraient surtout à réglementer ces monnaies numériques et éviter à la population les abus. Cependant il ne faut pas règlementer de sorte à l’abolir. Il faut trouver le juste milieu entre protéger la population et permettre à l’innovation de s’exprimer.
Pourquoi la cryptomonnaie séduit de plus en plus les africains en général, et les Burkinabés en particulier, surtout avec le Nigéria qui est considéré comme le pays africain ayant le plus nombre de détenteurs de cryptomonnaies soit 13 millions en 2021 ?
Une des raisons qui justifie l’intérêt pour la cryptomonnaie est qu’elle est la banque et la finance de demain. Avec les jeunes qui sont de plus en plus férus de technologie et d’innovation, c’est naturel qu’ils adoptent la monnaie numérique. La technologie qui est sous-jacente à cette monnaie numérique est révolutionnaire, elle est la plus grande révolution depuis l’avènement de l’Internet. Elle est la source de beaucoup d’innovations disruptives en cours et à venir. Le nombre important de détenteurs de cryptomonnaies pour citer l’exemple du Nigéria est surtout pour des raisons de spéculations. Aussi le cas particulier du Nigeria est dû au fait que la monnaie locale à savoir le Naira est pratiquement instable, les habitants essayent ainsi de protéger leurs épargnes, de lutter contre l’inflation en investissant dans les monnaies numériques.
« Les cryptomonnaies ne valent rien » avait déclaré récemment la présidente de la banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde. Partagez-vous sont point de vue ?
Selon moi, cette sortie de la présidente de la banque centrale européenne relève de la peur plus que tout autre chose. Du reste, selon Idriss Aberkane (conférencier et essayiste français, titulaire de trois doctorats), toutes les révolutions sans exclusive passent par 3 étapes : « ridicule », « dangereux », « évident ». Le système financier classique qui a d’ailleurs montré ses limites gagnerait à s’adapter. Pour preuve, la politique illimitée d’impression de billets que mène la Banque Centrale Européenne met en mal l’équilibre économique de l’Europe actuellement. L’Euro a perdu près de 13% de sa valeur actuelle face au dollar américain, l’inflation est galopante et la croissance ralentit. A noter que Christine Lagarde a été désavouée par son propre fils qui lui investit dans la cryptomonnaie. Pour ma part je lance le conseil de s’adapter à l’évolution tout en prenant le bon côté qu’offre cette technologie tout en essayant de limiter les dérives.
Quelles sont les cryptomonnaies à fort potentiels en 2022 ?
Pour répondre à cette question, ainsi libellée, c’est mettre en avant l’aspect spéculation. Or pour moi la technologie qui est sous-jacente à ces monnaies numériques est plus importante que la spéculation. Mon classement à moi ne rentre pas en droite ligne avec l’aspect financier mais plutôt dans l’aspect technologique qui en ressort capable d’impacter le monde. Ainsi je citerai Cardano, Solana, Cosmos et Texacoin qui est une cryptomonnaie a fort potentiel d’inclusion financière ici au Burkina Faso et en Afrique.
Vous avez créé deux cryptomonnaies ici au Burkina Faso, notamment Sankcoin et Texacoin. Parlez-nous d’elles
Le projet Texacoin est parti d’un constat qui est celui de la difficulté d’inclusion financière que connait l’Afrique. Or, sans inclusion financière, il n’y a pas de développement. Malgré les efforts combinés des banques des opérateurs de mobiles money, des microfinances et des pouvoirs publics, plusieurs millions d’africains se retrouvent en marge du circuit financier classique, ce qui rend naturellement difficile tout développement. Du reste, il a été prouvé dans les autres régions du monde où il y a développement, celui-ci a été précédé par l’inclusion financière. Je prendrai l’exemple des pays de l’Asie du Sud-Est. Le système financier classique ayant montré un certain nombre de limite ; les solutions de la technologie issue de la blockchain sont apparues comme une opportunité pour résoudre ce problème d’inclusion financière. C’est ainsi que nous avons créé un certain nombre de cryptomonnaie à l’instar de Texacoin et Sankcoin, dont les fruits de la vente nous permettent de réaliser ce projet. Notons que ce projet a un volet essentiel. En effet, nous sommes en train de créer la première blockchain au Burkina Faso du nom de Yennenga et qui est à un niveau avancé. Yennenga sera le socle d’un écosystème de services financiers à faible coût accessible aux populations à faible revenus pour leur permettre d’épargner, contracter des micro-prêt, souscrire à des micro-assurances, d’effectuer des transferts de fonds à moindre coût partout dans le monde.
Pouvons-nous dire que Sankcoin ou encore Texacoin viendront concurrencer le Francs CFA ?
Noter que la monnaie numérique vient en complément aux monnaies classiques. Même si elles ont fait de leur mieux, ces monnaies classiques montrent leur limite quant à l’inclusion financière. Et si solutions nouvelles il y’a, elles viennent en complément et non concurrencer le système déjà existant.
Peut-on se faire arnaquer en investissant dans les cryptomonnaies ?
Oui, bien-sûr. Dans tous les secteurs du monde, il y’a de l’arnaque. La cryptomonnaie ne fait pas exception surtout que c’est le domaine virtuel et abstrait et où on y investi de fortes sommes d’argent, il n’est pas rare d’y croiser des escrocs qui essayent de tromper les personnes. Seulement il faut noter que l’arnaque n’est pas l’apanage de la cryptomonnaie. Il y’a des arnaques partout que ce soit dans l’immobilier, dans le mobile money, dans la santé, etc.
Comment peut-on se procurer du Sankcoin ou encore du Texacoin ici au Burkina ?
Nous avons développé un certain nombre d’interfaces à savoir web sur notre site web www.texacoin.io et application mobile sur Google Play qui permettent de se procurer nos différentes cryptomonnaies. Les personnes intéressées ont aussi la possibilité de nous contacter directement pour acheter nos cryptomonnaies et les recevoir instantanément.
Que vaut en termes de coût 1 Texacoin ?
Actuellement nous sommes au cinquième round de notre ICO (Initial Cround Offering) et 1 Texacoin vaut 45.91 FCFA la pièce.
Selon vous, est-ce que le Burkina Faso à l’instar de la Centrafrique devrait adopter le Bitcoin comme monnaie légale ?
En toute circonstance, je le pense. Comme je le disais tantôt, la cryptomonnaie est phénomène mondial et irréversible venu s’implanter définitivement. Il faut alors s’adapter et s’inspirer des pays avangardistes, précurseurs afin d’exploiter le bon côté. Du reste il y a beaucoup de bruit autour du CFA. Pour dire que si votre monnaie est contrôlée par un quelconque partenaire et dont vous doutez de sa sincérité avec vous, il est préférable dans un tel cas d’avoir une alternative tel l’a fait la Centrafrique qui a reconnu le Bitcoin comme monnaie légale au côté du CFA. La tension existante entre la Centrafrique et son ex-colonisateur régisseur du CFA l’a en effet, poussée a sauté le pas vers l’alternative cryptomonnaie. On se souvient tous du cas de la Guinée de l’époque de Sékou Touré qui avait des tensions avec l’ex colonisateur, qui a imprimé en masse des Francs guinéens avant de les parachuter dans le pays, ce qui a eu comme conséquence de plomber l’économie et la monnaie. Il faut donc s’en inspirer et voir en la cryptomonnaie une alternative.
Conseillerez-vous à un novice de se lancer dans l’aventure, pour peu qu’il en ait la motivation, ou faut-il avoir quelques notions de bases en économie ?
Je dirai qu’il faut se former au préalable et ne pas se jeter à l’eau ainsi. Il faut noter que l’univers de la blockchain ou encore de la cryptomonnaie, c’est tout un domaine et il faille se former autour de cette technologie. Observez que c’est comme tout domaine. Si vous aspirez à devenir médecin, il vous faut vous former au préalable. Et c’est pareil dans la monnaie numérique, il faut se former. Il y’a des fortunes diverses dans le secteur et on peut gagner, tout comme on peut perdre.
Un mot de la fin à vous M. Kindo !
Avant de vous remercier d’être venus échanger avec nous, je voudrais évoquer la situation du Burkina Faso. En effet, il y a eu des arnaques dans le pays il y a quelques années dans le secteur de la cryptomonnaie, ce qui a engendré une certaine méfiance vis-à-vis des monnaies numériques. Je comprends parfaitement cet état d’esprit, mais la cryptomonnaie est un phénomène mondial, le Burkina ne doit pas rester en marge. Nous ne devons pas jeter l’eau du bain avec le bébé. Reconnaissons que de bons côtés existent dans ce phénomène qu’il faille exploiter afin de booster le développement. A noter que la technologie Blockchain permet de résoudre de nombreuses questions de développement en dehors de la spéculation notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie ou encore de la santé, etc. Sachons donc faire la part des choses et profiter des avantages qu’offre cette technologie et ne pas laisser l’arbre des arnaques cacher la forêt des innombrables possibilités de la blockchain. Je vous remercie.
Propos recueillis par Pierre O.