L’année 2023 va-t-elle marquer le début de la fin des médias sociaux

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Débuté en 2022, le phénomène se poursuit en ce début d’année 2023. En effet, Il ne se passe ainsi pas une semaine sans que des vagues de licenciements ou des changements d’orientation stratégique majeurs ne soient annoncés dans les grandes firmes des réseaux sociaux, motivés notamment par des cours de Bourse en chute libre depuis quelques mois. Le monde des réseaux sociaux connaît de nombreuses turbulences sans précédent, note Siècle Digital.

Apparus dans les années 2000, ces plateformes en ligne ont connu une croissance exponentielle, même si celle-ci s’est quelque peu émoussée en raison de la concurrence des plateformes de messagerie, comme WhatsApp ou Messenger, qui ont drainé une partie importante de leur audience.

Selon une analyse de Jeremy Lipp, Président & co-fondateur de Limber, si la crise du COVID a pu leur redonner un élan inespéré, rien ne va plus désormais : la transformation du modèle purement publicitaire des réseaux sociaux historiques tarde à se concrétiser et les nouvelles générations adoptent des usages et des plateformes différentes de leurs aînés.

Monopole publicitaire, protection des données personnelles, risques psycho-sociaux encourus par les plus jeunes, risques géopolitiques, sans parler de l’intelligence artificielle, sont autant d’enjeux qui pèsent sur l’évolution des plateformes sociales.

Les réseaux sociaux pris individuellement, les enseignements essentiels tirés par Jeremy Lipp montrent les points suivants.

Facebook et le metaverse de plus en plus vieux ?

Longtemps considéré comme l’un des réseaux sociaux pionniers et qui est resté la plateforme sociale de référence auprès du grand public, Facebook est aujourd’hui confronté à des défis de taille à savoir la concurrence croissante des autres réseaux et le vieillissement de ses utilisateurs.

En effet, Facebook a vu son public prendre de l’âge au fil des ans : aujourd’hui, seuls 15% de ses utilisateurs ont moins de 25 ans alors que TikTok peut en compter plus de 40%. Instagram et TikTok, ont su attirer une partie de l’audience de Facebook en proposant des expériences plus attrayantes et des contenus plus adaptés à leurs intérêts. Pour pallier cette perte d’audience, le groupe Meta s’est lancé dans ce qu’il appelle le metaverse : un univers virtuel qui permet aux utilisateurs de s’engager dans des expériences en ligne immersives. 

Twitter en plein balbutiement mais incontournable : 

Le rachat au prix fort de Twitter par Elon Musk a semblé ces derniers temps transformer le réseau social des leaders d’opinion mondiaux en une sorte de “one-man app” ou les tweets de ce dernier apparaissent en haut des “timelines” de la plupart des utilisateurs.

En cela nombreux sont ceux qui voient en Twitter un navire en train de couler et un capitaine ayant perdu le contrôle. Malgré cela, la fuite vers les plateformes alternatives comme Mastodon n’a pas vraiment eu lieu. Twitter reste, aujourd’hui, incontournable. 

On retiendra également que le licenciement brutal de 2/3 des salariés laisse l’oiseau Bleu dépourvu de ressources humaines suffisantes pour amorcer le véritable virage stratégique vers l’ambition avouée de Musk pour Twitter.

LinkedIn, le monopole – trop – tranquille

S’il est un réseau social qui tire son épingle du jeu et qui poursuit sa progression sans à-coups, LinkedIn est bien celui-là. Avec plus de 800 millions de membres, LinkedIn est aujourd’hui “le” réseau social professionnel incontesté. Il faut dire que depuis son rachat par Microsoft en 2016, tout a été mis en œuvre pour en faire une plateforme de données capable de fournir une source intarissable de talents et de prospects pour les entreprises notamment BtoB.

LinkedIn reste cependant un média d’expression limité. Les utilisateurs sont présents davantage pour afficher leur CV en ligne à d’éventuels recruteurs, que pour engager une conversation franche, voire polémique. C’est aussi une vitrine pour les entreprises qui y promeuvent quant à elles leur marque employeur.

Instagram à l’épreuve des influenceurs

Avec près de 1,4 milliard d’utilisateurs actifs, Instagram est l’un des réseaux sociaux les plus populaires au monde. Cependant certains experts estiment que la plateforme pourrait connaître une chute dans les années à venir, en partie en raison de l’essor non maîtrisé de l’influence.

Les faits sont là : les comptes de personnalités (appelées “influenceurs” ou “créateurs de contenu”) disposant de millions d’abonnés permettent à leurs propriétaires de gagner des sommes considérables grâce à des partenariats avec les marques. Si les stars et les grands sportifs sont capables de monétiser leur notoriété préexistante en demandant plusieurs millions de dollars par post, des influenceurs inconnus,“made in Instagram”, peuvent espérer quant à eux quelques centaines de milliers de dollars pour ce même type de post.

Ce phénomène a contribué à rendre Instagram de moins en moins authentique, car de nombreux utilisateurs se sentent aujourd’hui obligés de partager des contenus parfaits pour attirer plus d’abonnés et devenir eux-mêmes influenceurs. Cette course à la perfection a des conséquences graves chez les plus jeunes et sont source d’atteinte à leur santé mentale.

TikTok le mal aimé est-il victime de la géopolitique internationale ?

Le leader de la vidéo courte a réussi à séduire les utilisateurs de tous âges et a su devenir en quelques années le réseau social de référence chez les jeunes de moins de 25 ans. Cependant, il ne se contente pas d’être un simple réseau social, il pose des questions de politique internationale en raison de son algorithme de recommandation de contenu. La fameuse “For You Page”.

En effet, l’algorithme de TikTok est basé sur l’analyse des données des utilisateurs, permettant de proposer des vidéos en fonction de leurs centres d’intérêt. Cela a conduit à des accusations selon lesquelles il favorise une certaine vision du monde et idéologie par une logique d’enfermement dans des contenus similaires, voire une catégorisation de ses utilisateurs, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la manipulation de l’opinion publique.

Il y a également des craintes quant à la sécurité des données des utilisateurs, étant donné que TikTok est propriété de la société chinoise ByteDance. Les utilisateurs et les législateurs se demandent si les données qu’ils partagent sur le réseau sont utilisées à des fins commerciales ou politiques par la société et bien sûr par le gouvernement chinois. À cause de ces préoccupations, certains pays comme les États-Unis ont mis en place des restrictions à l’utilisation de TikTok et d’autres en ont même interdit l’utilisation en Europe notamment.

Vers un nouveau paradigme

On le voit, entre saturation du marché, pic de popularité, vieillissement des utilisateurs, risques psycho-sociaux ou encore géopolitiques, à chaque réseau social correspond finalement un des enjeux essentiels de notre temps.

Pour autant ces réseaux occupent une grande partie de notre vie et cela ne devrait pas changer. A l’heure où l’utilisation de l’intelligence artificielle pour la production de contenu laisse préfigurer une avalanche de nouveaux contenus, de nombreuses interrogations se posent quant à l’avenir de ces plateformes : sauront-elles mettre en œuvre les garde-fous permettant de distinguer le contenu humain de celui produit par l’IA ? Sauront-elles créer des modèles permettant de revenir à des échanges authentiques et respectueux entre les utilisateurs sans distinction ni hiérarchie ? Sauront-elles continuer à nous ouvrir sur le monde et nous permettre d’appréhender sa complexité plutôt que de nous enfermer dans des communautés bâties sur des discours alternatifs ?

Pour répondre à ces enjeux, les plateformes sociales vont devoir sans aucun doute se réinventer ces prochains mois tout en s’adaptant aux évolutions des usages, de la technologie et de la réglementation, ce qui ouvrira sans nul doute un nouveau paradigme passionnant.

Pierre Ouédraogo